Né dans la montagne d'Elumden vers 1882, décédé à Mvolye (faubourg de Yaoundé) le 1er septembre 1943, chef supérieur des Beti du Cameroun, orphelin de père, le petit Karl-Friedrich-Otto Atangana avait déjà fait une fugue à la côte comme porteur quand il fut remis en otage par son oncle Esomba Ngon Nti au lieutenant Dominik, chef de poste de Yaoundé, en décembre 1896. Celui-ci le confia d'abord à Martin-Paul Samba pour être formé aux emplois de domestique, puis l'envoya à l'école de Kribi où il fut instruit et (décembre 1898) baptisé par les missionnaires catholiques.
Fuyant devant les Bulu qui incendient la mission en décembre 1899, Atangana est alors embauché comme infirmier à Victoria, puis comme interprète du gouvernement à Buea.
Il épouse Marie Biloa en 1901. En 1902, il réussit à se faire nommer interprète à Yaoundé même, où, malgré les jalousies, il s'impose peu à peu comme le négociateur attitré de Dominik lors des campagnes de pacification et comme le champion de la modernisation auprès de ses frères Beti.
En 1907, les chefs traditionnels qui avaient comploté contre lui sont condamnés et plusieurs d'entre eux sont exécutés. Atangana s'enrichit par ses boutiques, ses ateliers, ses plantations modèles, introduit à Yaoundé l'élevage et la spéculation foncière, construit une grande maison où est installé le premier téléphone privé de la ville. Il assoit son prestige par la création d'une fanfare et milite avec zèle pour la christianisation du pays.
En 1911, dans la hiérarchie pyramidale que les allemands tentent d'instaurer, il est nommé président du tribunal de première instance et chef ou maire de Yaoundé, fonctions où il réussit parfaitement.
En avril 1912, il part comme répétiteur d'ewondo à l'Ecole Coloniale de Hambourg et séjourne un an en Europe. Il constitue un recueil de traditions Beti, les Jaunde Texte. A son retour, il est intronisé par les allemands comme «chef supérieur» des Ewondo et des Bënë (sous-groupes principaux des Beti). Quand les allemands se replient devant les Alliés en janvier 1916, Atangana les accompagne avec 60 000 Camerounais; il est nommé chef supérieur de tous les Camerounais non musulmans et crée sur l'île de Fernando Po, près de San Carlos, pour les réfugiés, un ensemble de villages, de plantations et de pêcheries exemplaires.
En 1920, il se rendit à Madrid, d'où il négocia son retour au Cameroun avec le gouvernement français. Après un temps d'épreuve à Dschang, il rentra à Yaoundé en novembre 1921, où l'administration dut se résoudre à lui rendre ses fonctions, car le pays sans lui était devenu anarchique.
Atangana prit le titre impérial de Meyong Meyeme «celui que tous les peuples reconnaissent»; il regroupa les chefs autour de lui au village de Nsimeyong, en confiant à chacun une responsabilité propre (une sorte de département ministériel); et, pendant vingt ans, il se dépensa sans compter pour construire des routes, des ponts, des écoles, des hôpitaux, le chemin de fer, et pour travailler à l'implantation du cacao, à l'éradication de la maladie du sommeil, dans le sillage des administrateurs coloniaux, ainsi que pour édifier les églises et les séminaires que réclamaient les catholiques.
Veuf en 1936, il se remaria avec Juliana Ngo Noa. Avant de mourir, il légua sa chefferie non à ses enfants, mais, selon la tradition Beti, à son parent le plus capable, Martin Abega. Cependant, l'institution de la chefferie supérieure ne lui survécut que formellement. C'est en personnage miraculeux, en médiateur charismatique, qu'il avait incarné la volonté de développement et d'évolution des Beti, cette ouverture à la culture moderne sans reniement interne («Nous ne voulons pas devenir des Européens noirs…» a dit Atangana) qui caractérise encore si bien Le Cameroun.
Philippe Laburthe-Tolra